Journée d’études de l’Institut Marcel Mauss

OBÉIR ET DÉSOBÉIR

17 janvier 2012

9h30- 18h  – salle 640

EHESS, 190 avenue de France  75013 Paris


PROGRAMME

– Matinée : 9h30-12h30

Présidence : Bruno Karsenti (EHESS, GSPM-IMM)

Emanuele Coccia (EHESS, CENJ-IMM)

Les sources théologiques de la désobéissance.

La chute angélique et ses conséquences selon la théologique chrétienne

C’est par un acte de désobéissance que, selon la théologie chrétienne, tout dans le monde a débuté : du commencement de l’histoire à la mortalité des hommes, du pouvoir à la guerre au régime alimentaire carnivore. La désobéissance des anges est en effet non seulement le premier événement du cosmos chrétien après sa création, mais (exception faite de l’incarnation et de la résurrection du Messie) le plus important. Et la réflexion théologique s’est longuement interrogée sur le statut de l’acte de désobéissance.

Jacques Chiffoleau (EHESS Lyon, CIHAM)

Des moines rebelles aux sujets obéissants (XIIe -XIVe siècles).

Quelques remarques sur la construction médiévale du sujet “moderne”.

On se propose de revenir brièvement sur un ou deux moments de l’histoire du couple obéissance/rébellion conçues comme des antonymes. En se concentrant sur le moment, assez tardif, où la désobéissance (ou l’inobéissance) a pu être pensée et expérimentée comme une rébellion et où la rébellion est devenue un crime public par rapprochement avec le crime de majesté, on espère en effet pouvoir mieux comprendre comment l’obéissance elle-même, cette vertu au départ éminemment monastique, s’est installée au cœur des constructions politiques des XIVe – XVIIe siècles.

Paolo Napoli (EHESS, CENJ-IMM)

Aux sources de l’obéissance. Retour sur le charisme

Les analyses wébériennes sur le pouvoir charismatique sont trop connues pour justifier une énième glose. En revanche une petite enquête généalogique sur l’émergence de la catégorie du « charisme » pourrait montrer que celui-ci cultive un rapport de complicité fondamentale avec ce qui a été depuis toujours considéré comme son antonyme : l’office. Il s’agit donc d’interroger les sources théologiques et classiques pour voir dans quels termes l’obéissance du sujet occidental a été capturée par un mécanisme normatif dans lequel les deux notions s’organisent (Amtcharisma, règles charismatiques) et définissent ainsi l’espace d’action des sujets.

– Après midi : 14h00-18h

Présidence : Daniel Céfaï (EHESS, CEMS-IMM)

Sandra Laugier (Université Paris I Panthéon-Sorbonne, PhiCo)

“Qui a plus d’obéissance que moi est mon maître”

… “quand bien même il ne lèverait pas le petit doigt” (Emerson, Self-Reliance). Le perfectionnisme moral de Ralph Waldo Emerson et de Henry D. Thoreau est au fondement des actions de désobéissance civile. Il n’exprime pas seulement un individualisme fort, érigé contre le conformisme désespéré de leurs contemporains, mais une autre conception de l’obéissance et du suivi de la règle ; non comme soumission à l’autorité, mais comme expression singulière et éventuellement dissonante – que l’on pourra confronter à la vision, développée par Wittgenstein dans les Recherches Philosophiques, des contraintes exercées par la règle, et par nous sur elle dans nos manières de la suivre.

Albert Ogien (CNRS, CEMS-IMM)

La désobéissance civile à l’épreuve de la soft law.

Une analyse des politiques de l’excellence

Un nouveau modèle d’exercice du pouvoir s’impose dans les démocraties avancées : “gouverner au résultat” – en entendant la notion de résultat au sens particulier d’évaluation du degré de réalisation d’objectifs chiffrés à l’aide d’indicateurs de performance. Ce changement traduit le fait que le processus de décision politique se retrouve étroitement asservi aux données chiffrées que fournissent les systèmes d’information administratifs. Les progrès de la numérisation du politique accompagnent ceux d’une normativité fondée sur une incitation financière régie par une concurrence arbitrée par des standards définis par la quantification. Dans ce cadre, la désobéissance, en tant que critique de la valeur des règles de droit instituées, se retrouve privée de toute prise.

Marie-Angèle Hermitte (EHESS/CNRS, CENJ-IMM)

Désobéissances contemporaines en contexte : à propos de deux cas

Deux cas pratiques seront proposés, celui du lanceur d’alerte, celui des anti-OGM, et replacés dans le contexte plus général de l’action des désobéissants : l’expertise à finalité de décision politique dans le premier cas, la transformation des modèles agricoles, a minima, et peut-être des modèles économiques dans le second cas.

Liora Israel (EHESS, CMH)

La Résistance est-elle une désobéissance ?

Pour une approche réaliste des relations entre droit et résistance.

Selon que l’on lui applique ou non une majuscule, la (R)résistance désigne un type de conduite politique associée à la lutte contre l’occupant nazi et ses alliés pendant la Seconde guerre mondiale, ou, de manière moins déterminée, un ensemble de pratiques contestataires qui ont en commun de se situer en opposition avec des normes ou des comportements prescrits, le plus souvent par un pouvoir. De manière implicite ou explicite, dans l’un et l’autre cas, le droit est placé au centre de cette tension, puisque par définition les pratiques de résistance sont caractérisées par une critique des normes en vigueur, soit le plus souvent de normes juridiques, qu’elles transgressent, invitent à transgresser ou suggèrent de dépasser. On se propose ici de revenir sur les modalités d’articulation entre droit et résistance à l’aune d’exemples historiques.

PRESENTATION DE LA JOURNEE

Obéissance et désobéissance sont deux faces du rapport qu’il est possible d’entretenir à une norme. Elles ne se confondent cependant pas avec ce couple d’attitudes qui leur est traditionnellement associé : soumission ou résistance. C’est qu’obéissance et désobéissance sont moins des réactions mécaniques à une obligation instituée que des manières de se rapporter à cette obligation.

Cette journée d’études est consacrée à l’examen de deux de ces manières. Elle abordera en premier lieu la question de la place que l’obéissance tient dans l’élaboration de la règle de droit. À partir de l’analyse d’un patrimoine de sources hétéroclites aux chronologies différentes que le travail savant des juristes et les pratiques gouvernementales n’ont cessé de remodeler (sources théologiques apostoliques et patristiques, règles monastiques, droit canonique classique et moderne, droit pénitentiel post-tridentin, hagiographie et biographies), il s’agira de s’interroger sur la façon dont l’obéissance a été pensée comme un événement qui comble le hiatus entre le droit et le fait, non seulement par l’intériorisation du contenu de la norme, mais aussi par la capacité de celle-ci de se doter d’une force d’adéquation au réel qui se passe de la décision juridictionnelle. Ce qui ouvre une question : comment l’obéissance est-elle intégrée à la règle de droit dans le passage d’une normativité du « cas » – qui a fait ses preuves dans la tradition du droit romain – à une normativité de la « situation » – qui émerge dans les formes modernes de juridicité (comme en atteste le développement actuel de la normativité singulière de la soft law et de la médiation) ? Cette question a été analysée par la philosophie et la théorie du droit XXème siècle, qu’elles soient d’inspiration formaliste (Kelsen) ou réaliste (Ross, Hart). Toutes deux ont essayé d’échapper à une conception de l’obéissance en tant que catégorie fondatrice de la validité de la règle de droit pour penser la norme à partir de l’infraction, en posant qu’elle n’existe que parce qu’elle n’est pas observée ce qui permet de l’invoquer à l’occasion de son application en justice.

La journée s’intéressera ensuite à la désobéissance, en l’envisageant comme forme d’action politique qui met à l’épreuve les pratiques courantes de la justice, de la démocratie et du politique dans le cadre de légalité d’un Etat moderne. Elle s’appuiera sur l’analyse des formes de contestation et de résistance – qu’elles se soient développées en régimes démocratique ou totalitaire – qui recourent à la désobéissance civile ou à la protestation de masse pour faire valoir une autre conception de la justesse des règles de droit instituées. Il s’agira, dans ce second volet, de s’interroger sur la façon dont la désobéissance exprime une critique légitime et articulée de la validité de la norme ; et comment elle contribue, même en démocratie, à l’émergence de nouvelles manières de penser l’organisation sociale et l’exercice du pouvoir. La force de la désobéissance tient simplement au fait qu’elle vient rappeler, publiquement et de façon radicale, au respect d’une norme de justice ou de décence élementaire : tenir pleinement compte de la voix de chacun de ceux qui participent à une collectivité politique, même si cette voix est dissonante.

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