Programme de la journée d’étude qui aura lieu le 20 septembre prochain au Collège de France (11 Place Marcelin Berthelot) en salle 04:

De la Simplexité, ou l’Inférence dans la Résonnance

Jean-Luc Petit
Université de Strasbourg & LPPA Collège de France

La littérature sur la cognition est le théâtre d’une controverse opposant le « direct » (perception des états mentaux d’autrui, compréhension des actions d’autrui, empathie, résonnance…) et « l’indirect » (inférence inductive, théorie de l’esprit, modèle interne, modèle bayésien, causalité Granger…). La vigueur de la polémique peut suggérer qu’il existe une irréductible opposition entre des options épistémologiques, voire même des intuitions ontologiques distinctes. Or, il n’est pas certain que les ressources conceptuelles mobilisées par les deux partis soient essentiellement différentes. Au contraire : il apparaît que la distinction, notamment entre l’approche de la « théorie de la théorie » et celle de la « simulation interne », qui continue de faire débat, est une distinction sans réelle différence, vu que les deux approches reposent sur le présupposé d’une cognition essentiellement représentationnelle et computationnelle et qu’elles s’appliquent aux phases complémentaires ou hiérarchiquement ordonnées d’un même processus cognitif. C’est ce que montrent les vicissitudes du paradigme des neurones miroir, tiraillé entre résonnance et inférence. L’idée de simplexité contient-elle une solution de compromis satisfaisante pour les exigences théoriques en présence ?
A. Berthoz, La Simplexité (2009); A. Berthoz et J.-L. Petit, Physiologie de l’action et phénoménologie (2006).

Dualité simple/complexe

Daniel Bennequin
Université Paris VII Diderot, Institut de Mathématiques & LPPA Collège de France

Simplexité et restructuration pertinente

Pierre Livet
Université de Provence

Quand on tente de construire une typologie des différentes facettes de la notion de simplexité, il semble tout d’abord qu’on puisse y trouver des dualités. La première est la dualité entre les solutions données à des problèmes, et les problèmes qui guident des solutions. Ainsi la combinaison de plusieurs variables en une seule pour pouvoir traiter un problème dans un espace plus simple est une solution (partielle) à un problème, alors que mettre en œuvre des dispositifs qui permettent plus de degrés de liberté, ou qui admettent la non commutativité, c’est poser un problème qui  nous guide vers un ensemble de solutions. La seconde est la dualité entre une perspective par focalisation sur un état, un point critique ou organisateur – point fixe, système contractant, etc. – et une perspective qui s’élève du focal au générique pour pouvoir réutiliser des opérations similaires selon de multiples variantes (recours à une géométrie affine, par exemple).  La troisième est la dualité entre une perspective qui traite un problème à un seul niveau de formulation (point fixe, espace unique) et une perspective qui fonctionne à un niveau d’emboîtement supérieur (par exemple, la modularité présuppose comme emboîtée la résolution de systèmes avec points fixes, ou avec transitions  critiques, et elle pose le problème de son emboîtement dans d’autres perspectives plus transversales).
Cette typologie a,  grâce à ces dualités, des propriétés intéressantes, puisque l’on peut combiner ces dualités entre elles. Mais elle reste statique. Il est tout aussi suggestif de passer à une vision dynamique de la simplexité, en s’interrogeant sur les transitions critiques qui peuvent amener une réorganisation de la complexité du système nerveux et corporel. Le modèle général semble pouvoir être le suivant. Il est nécessaire de disposer de plusieurs processus qui explorent un espace de possibilités. Il faut ensuite que les interactions avec l’environnement produisent une sorte de cristallisation sur des propriétés saillantes d’une situation. Il y a saillance parce que les propriétés structurelles de la situation provoquent une transition critique dans les interfaces entre différents systèmes de l’organisme – ce que nous nommons, après coup, une évaluation de la situation par rapport à des tendances et besoins de l’organisme. La saillance va donc de pair avec une prégnance. La transition critique déclenche une réorganisation partielle des possibilités dynamiques du système nerveux et de ses extensions corporelles, réorganisation qui est focalisée sur cette saillance prise maintenant comme « solution »,  sur le mode du « supposons le problème résolu ». Le problème en question est alors déterminé en fonction de cette solution, et la réorganisation en cause est ainsi renforcée par rapport à d’autres dynamiques possibles.
Ainsi, au lieu que le système ait à identifier  en quoi la situation  déjà déterminée est pertinente pour la satisfaction de ses besoins – ce qui supposerait l’existence d’un dispositif supplémentaire d’évaluation de la situation en fonction des besoins, en sus du fonctionnement du système d’action – c’est la capacité de la situation – qui comprend la structure de l’environnement et celle des dynamiques du système – à provoquer cette réorganisation focalisée  et sélectionnante – à condition que la sélection ainsi provoquée reste dans le bassin de viabilité du système – qui assure du même coup et l’évaluation et le fonctionnement pertinent. Nous pouvons nommer  « restructuration pertinente » tout ce processus.
Il restera à montrer comment nous pouvons relier la typologie des modes de simplexité et le fonctionnement de leurs dualités avec la dynamique de la restructuration pertinente. On devine assez bien déjà comment cela peut fonctionner – les différentes dualités sont les unes pour les autres des modes de restructuration pertinente – et ce sera le troisième temps de l’exposé.

La complexité du temps et la simplicité de l’action protensive du vivant

Giuseppe Longo
http://www.di.ens.fr/users/longo
LIENS – CNRS & Ecole Normale Supérieure
CREA Ecole Polytechnique

L’action du vivant est “simple” car elle est toujours le résultat d’un geste protensif. Ce geste est rendu possible par la rétention d’un vécu qui permet de construire une géodésique relative à l’espace de l’action. Mais le temps du vivant, qui permet ce “présent étendu” par la rétention et la protension, est épistémiquement complexe : pour le comprendre, on doit le représenter dans une variété bidimensionnelle et ajouter à l’irréversibilité du temps physique celle propre à la (re-)construction permanente de tout organisme et à l’asymétrie rétention/protension. On essayera de corréler cette intelligibilité de l’action et du temps avec certains aspects de la “simplexité”.

F. Bailly, G. Longo, Mathématiques et sciences de la nature. La singularité physique du vivant, Hermann, Paris (2006, tr. angl. 2010);
F. Bailly, G. Longo, M. Montévil, A 2-dimensional Geometry for Biological Time (2011); G. Longo, M. Montévil, Protention and retention in biological systems (2011).

Identifier des fonctions: une stratégie simplexe pour comprendre notre environnement

Françoise Longy
Université de Strasbourg

Aussi bien dans la recherche scientifique que dans la vie quotidienne, nous cherchons souvent à identifier quelle est la ou les fonctions d’un objet, d’un organe, d’un comportement, ou de leurs parties et composants. Pourquoi ? Quel bénéfice cognitif et pratique tirons-nous d’une vision “fonctionnaliste” des choses? Les analyses philosophiques de ces trente dernières années relatives à l’attribution fonctionnelle ont laissé cette question largement sans réponse. Je chercherai à y répondre en montrant qu’identifier une fonction est un principe simplificateur extrêmement puissant dès qu’il s’agit de comprendre et de maîtriser un environnement complexe où le hasard a toujours sa part. En particulier, je montrerai que l’attribution d’une fonction sert à dégager une ligne de force causale à partir de laquelle il devient possible (1) de détecter de nouvelles opportunités ou faisabilités gibsoniennes, (2) d’expliquer la permanence de certaines propriétés en même temps que la plasticité des structures qui la sous-tendent et (3) de prédire de façon fiable, mais non certaine, le futur.

Organisation des complexités par relativisations descriptionnelles

Miora Mugür-Schächter

L’on montre très schématiquement comment, dans le cadre de la méthode de conceptualisation relativisée, les complexités peuvent être séparées les unes des autres, organisées et mesurées.
V. Schächter, Complexity Measures Viewed Through the Method of Relativised Conceptualisation, Quantum Mechanics, Mathematics, Cognition and Action: Proposals for a Formalised Epistemology, M. Mugur-Schächter & A. van der Merwe, eds., Kluwer (2003).

Contrôle modulaire d’un système hyper-redondant

Thierry Pozzo
INSERM/U887 Motricité – Plasticité
Université de Bourgogne, Faculté des Sciences du Sport

La saisie manuelle et l’équilibre bipédique sont deux fonctions essentielles de la motricité humaine. Néanmoins les mécanismes assurant la coordination et la planification de ces composantes sont mal connus. Parmi les questions non résolues figure celle de savoir si, lors d’une tâche de saisie impliquant tout le corps, le contrôle postural et la saisie manuelle font partie de la même commande ou bien sont contrôlés séparément. Nous montrons dans cette étude que le contrôle postural et la commande assurant le pointage manuel reposent sur une organisation modulaire flexible. Une analyse en composantes principales et des corrélations intersegmentaires est utilisée pour extraire les couplages angulaires locaux et globaux lors d’une tâche de pointage vers une cible nécessitant la flexion du tronc vers la cible. La première étude révèle une organisation simplifiée de la chaîne articulaire redondante dont les articulations co-varient, permettant l’atteinte de la cible et le maintien du centre de masse à l’intérieur de la base d’appui. Dans la seconde étude, la trajectoire du centre de masse et du doigt sont contraints en demandant au sujet d’atteindre la cible depuis une position debout sur un support réduit, ou bien en conservant les genoux tendus ou enfin en déplaçant le doigt selon une trajectoire imposée droite ou exagérément courbe. La co-variation angulaire enregistrée en condition nominale est robuste aux contraintes d’équilibre. En revanche lorsque la contrainte est appliquée sur la trajectoire du doigt, la structure de coordination est décomposée en deux modules correspondant à une dissociation bras/tronc et jambe, dont l’un est dépendant et l’autre indépendant de la tâche. Les résultats d’une simulation numérique supportent l’hypothèse d’une intégration des modules posturaux et focaux au sein d’une même commande, et suggèrent l’existence de primitives nominales stables et robustes pouvant être combinées ou séparées selon l’ajout de contraintes ou encore complétées par des modules secondaires.

Simplexité du geste dans la direction d’orchestre mode de communication non verbal

Jean-Luc Petit
Université de Strasbourg & LPPA Collège de France

En prélude au concert dirigé par Serâ Tokay, j’envisage de présenter la direction d’orchestre comme contre-exemple à la théorie selon laquelle les capacités humaines de contrôle volontaire de tâches multiples seraient limitées à 2 tâches simultanées (Koechlin et al. Science 2010). Normalement nous appliquons nos capacités de contrôle volontaire à une tâche unique. Si nécessaire, la responsabilité de la fonction de contrôle assurée par le lobe frontal pourrait éventuellement être répartie sur les deux hémisphères cérébraux pour permettre la poursuite de deux buts distincts. Mais le fait d’attribuer des ressources cérébrales à la tâche primaire en attendant la réalisation de la tâche secondaire représenterait déjà une gêne pour l’accomplissement de cette tâche secondaire. Et au delà de deux tâches nous serions de plus en plus mauvais. Je soupçonne que cette théorie est obnubilée par l’anatomie grossière du cerveau : nous avons deux hémisphères cérébraux, pas plus, donc nous pouvons contrôler deux tâches et pas plus! Cette théorie ignore les ressources de plasticité fonctionnelle induites par l’apprentissage, notamment dans la pratique artistique. Très généralement cette pratique revient à déconstruire des synergies naturelles (l’opposition des deux mains) pour les remplacer par des configurations motrices qui sont des montages artificiels stabilisés par l’apprentissage (indépendance des mains, déliage des doigts, etc.). On donnera des exemples dans la direction d’orchestre de la mobilisation des capacités de contrôle volontaire du chef d’orchestre par plus de deux tâches en même temps, ou plutôt par plusieurs tâches échelonnées dans une temporalité stratifiée où l’anticipation naturelle perfectionnée par la pratique artistique joue un rôle déterminant.
L. Fadiga, Yi Li, J.-L. Petit, S. Tokay, Projet SIEMPRE – Social Interaction and Entrainment using Music PeRformance Experimentation (recherche en cours).

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